samedi 22 novembre 2014

The memory remains

Toujours à rechercher le répit. Toujours à attendre que ça passe. Chaque personne qui sort de mon champ de vision devient un putain de fantôme. Chaque personne qui sort de mon champ de vision emporte un morceau de mon âme avec elle. Chaque personne prend un morceau plus gros que la précédente. Ça me fait penser à ces panneaux qui disent "Laissez l'endroit dans l'état où vous l'avez trouvé en entrant". Comment tu peux lutter contre les dégradations avec des panneaux de ce genre ? C'est de la connerie. C'est comme mettre des panneaux "pelouse interdite". Le seul truc qui va arriver c'est que tous les gens vont marcher, s'asseoir sur cette putain de pelouse. Alors que ça leur serait pas venu à l'idée. Les bancs c'est tellement plus confortable.

Bref, chaque personne repart, à chaque fois, avec un morceau de mon âme. Chacune a sa façon de prendre un morceau. Certaines le coupent proprement, avec une paire de ciseaux. Parfois, elles font même un ourlet, pour pas que ça soit trop flagrant. D'autres sont moins consciencieuses et oublient l'ourlet, quand elles ne déchirent pas carrément un morceau pour en faire un torchon.

D'un côté, ça me gêne pas que les gens m'embarquent des morceaux d'âme, tant qu'il m'en reste assez. Si ça leur fait un souvenir, tant mieux. Vraiment, hein. Si ça peut les réchauffer, le soir, quand ça caille trop, ça me pose aucun problème, je suis même content que ça serve.

Cependant, des fois, je me laisse emporter, et je tranche au cutter dans cette toile. Pour en filer des morceaux à droite à gauche. A des gens que j'ai vu trois fois. A des gens que j'ai jamais vu, même. C'est comme si, en leur donnant des grands morceaux, ils étaient obligés de les mettre en évidence dans une grande pièce, parce que "putain comment tu veux ranger ça quelque part, t'as vu la taille du bordel ?". Finalement, le morceau ne reste que quelque temps dans la pièce. Au bout d'un moment, il finit dans le grenier, au fond d'une caisse, souvent jeté négligemment pour couvrir le bordel ambiant. Des fois, on le retrouve, plusieurs années après. Ils en font un feu, parce que ça prend ça de la place, la poussière, que ça sert à rien et qu'on sait plus d'où ça vient. Et on peut entendre les souvenirs, gravés dans l'âme, hurler. De douleur, certes. Mais de tristesse aussi. Tristesse de finir leur misérable existence au fond d'un barbecue ou sur un tas de branches mortes. Tristesse de ne pas avoir pu, une dernière fois, s'ancrer dans un autre morceau d'âme.

Des cendres à peine froides jaillissent des fantômes de souvenirs. Des bribes, des sursauts, des hoquets de réminiscences, qui se laisseront porter par le vent, jusqu'à tomber dans la mer d'Irlande et s'y noyer pour de bon, sans plus de remous. Parfois, si une petite fille ou un petit garçon se trouve à proximité, ils peuvent, si le coeur leur en dit, sauter et saisir un souvenir. Il n'aura pas de signification précise, mais il sera là, comme une présence, comme un ami qui veille sur eux, peu importe ce qu'il se passe. Ce morceau finira par s'ancrer dans leur âme, dans leurs souvenirs. En en devenant part entière, ce souvenir, même s'il a changé de signification, continuera toujours à survivre, bien longtemps après sa mort physique.

De tout cela, je ne sais quoi penser. Que se passera-t-il quand j'aurais déroulé entièrement la toile de mon âme ? Que se passera-t-il lorsqu'elle aura été tranchée en d'innombrables morceaux et répandue aux quatre coins du monde ? Que restera-t-il du Moi que j'ai été ? Chaque morceau d'âme, je l'ai donné pour qu'on sache que je suis là, un peu. Chaque morceau d'âme donné, c'est un peu comme aller à un prêteur sur gages quand on n'a plus un rond. On finit par solder les morceaux les plus précieux, ceux que tu gardais quand toi, t'avais vraiment froid et que tu ne pouvais pas te résoudre à les refourguer. Chaque souvenir est réparti sur plusieurs morceaux d'âme, si bien qu'il faut retrouver plusieurs morceaux d'âme pour en reconstituer un seul en entier. Il serait vraiment urgent que j'arrête de donner des morceaux d'âme et de souvenirs. Parce que ça finit par me manquer et les gens n'en font rien. Un beau gâchis.