samedi 31 mai 2014

Railroad

Tout d'abord, le choc. Sa violence, sa furie, suivi d'une incroyable sensation de légèreté, comme une sensation de voler. Haut. Très haut. Instantanément, je me suis retrouvé en chute libre, aspiré dans un trou sans fond. Alors, le vide. Noir et angoissant. Des éclats de lumière, comme des échardes de verre, percutaient mes rétines avec plus ou moins de régularité. Devant ces flashs, j'apercevais des ombres, floues et immenses qui m'encerclaient. J'entendais la rage dans leurs voix, la colère dans les cris, la peur dans les hurlements. Les ombres s'affolent, paniquent. J'ai l'impression qu'on a siphonné mon cœur de l'intérieur.

Le noir de nouveau. Me voilà, debout le long d'une voie ferrée. De vieux rails en fer, rouillés, parsemés de vieilles planches de bois, rongées par le temps, la pluie et les insectes. J'ai l'impression que ces rails sont la métaphore de ma vie. Rongée par le temps alors qu'elle semble encore neuve, de loin. Alors que je me relève, je sens ma jambe gauche partir et je m'écroule le long du ballast. Je vais devoir ramper. Les rails commencent à vibrer, de plus en plus fort, de plus en plus vite. Une lumière, au bout d'un tunnel, se rapproche. Toujours plus proche, toujours plus intense. Les rails vibrent de plus en plus fortement. J'entends la fureur d'une locomotive à vapeur. Dans un ultime réflexe, je me roule sur le côté, dans les fourrés. Piqué par des orties, déchiré par des ronces, ça ne fait qu'empirer mon état. Frôlé par le train, je peux sentir l'air se déplacer et tenter de m'emporter avec lui, pour une dernière danse. Le conducteur semble sorti tout droit d'un film d'horreur de série B, avec ses petites lunettes de soleil rondes, ses cheveux longs et ses fringues à franges des années 70. Gravés en lettres de feu, sur chaque wagon, deux mots. "Crazy train". C'est en me dépassant que le conducteur se met à hurler "All aboard" et part dans un rire de dément.

Pendant quinze secondes, j'ai eu envie de suivre ce train, cette lumière dans la pénombre. Cependant, très vite, j'ai un pressentiment, comme si ce train allait en enfer. J'ai donc choisi la direction opposée, à savoir le tunnel duquel il a déboulé. Une nouvelle lumière est apparue. Cependant, elle était plus froide, plus distante. Comme... comme morte. Mais d'une blancheur pure. J'avançais lentement, hors des rails, ma jambe traînant toujours, piteusement. J'avais l'impression d'être sous acide. Parfois, mon corps pesait une tonne, lourd comme un train de fret. Parfois je m'allégeais et devenais aussi léger qu'un avion, plus souvent je me sentais comme un astronaute à la recherche de repères. La nuit s'abat alors sur la vallée comme une voiture s'écrase contre un mur de crash-test. Une nuit sombre et poisseuse, épaisse. Ça commence à s'agiter dans les fourrés. Parfois, je vois en sortir des ombres immenses, squelettiques. Inhumaines. Tétanisé, transi de froid, j'ai peur, je tremble. Pourquoi moi ?

Pendant combien de temps ai-je erré ? Combien de temps ai-je titubé le long des rails ? Je n'en ai pas la moindre idée, et, cependant, plus je titubais, plus la lumière se rapprochait de moi. J'avais l'impression qu'elle me portait, qu'elle me faisait planer jusqu'à elle. Cependant, comme dans une attraction étrange, plus je m'approchais, plus la lumière s'éloignait. Sans prévenir, elle m'est tombée dessus, avec fracas, comme un train qui ne voit que trop tard la voiture, coincée sur les rails. Malgré sa clarté, la lumière du tunnel était cernée de gris. Comme un cadavre. Le centre, si blanc, semblait s'effondrer sous le poids du pourtour pourrissant. L'instant d'un frisson, j'ai eu l'étrange sensation que la lumière, que ce tunnel étaient des portes vers quelque chose de définitivement calme, quelque chose qui m'empêcherait définitivement d'avoir peur. Autant dire qu'à cet instant, j'étais prêt à signer des deux mains.

De manière totalement soudaine, la lumière s'est mise à hurler, à crisser, à grincer. Ces bruits cognaient dans mes tympans, hurlaient dans mon cerveau, faisaient le tour de ma boîte crânienne et ressortaient en l'explosant en millions de petits éclats. Geste irrationnel pour un athée, j'ai commencé à prier. Que tout s'arrête. Pour de bon. Une décharge électrique me traverse alors le corps, de part en part. Centrée sur la poitrine. Je sens mon cœur qui, à son tour, explose en fragments de poussière. Une deuxième. Une troisième. Mon cœur reprenait ses esprits. La lumière s'était éloignée. Les décharges, soudainement arrêtées, ont permis à la lumière de se rapprocher. Je pouvais maintenant sentir le froid s'échapper de chacune des interstices du pourtour de la porte. Je pouvais sentir l'humidité suinter des pores de cette porte. Deux nouvelles décharges. La lumière s'était évaporée. Définitivement.

A demi conscient, j'ai ouvert un œil. Une lumière puissante m'aveuglait toujours, mais elle n'était pas de la même nature. Cette lumière là n'était pas naturelle. La chaleur qu'elle dégageait n'était pas assez homogène. J'étais allongé sur une voie ferrée, la colonne vertébrale fracturée par un rail. La voiture enroulée autour de la locomotive, ma cigarette fumant encore sur les gravats jonchant la voie. Ça s'agitait encore autour de moi, les secours hurlant des ordres. Un médecin m'a regardé et a lancé "Son état est stabilisé, mais il est encore critique".

Ce que j'ai vu là-bas ? J'ai vu la mort et le désespoir. De près, de trop près peut-être, parce que ma seule envie est d'y retourner. Pour être bien. Pour toujours. Ce que j'ai vu là-bas ? La terreur et la peur. Le malaise et l'angoisse. Ce que j'ai vu là-bas, personne ne le croira.

mardi 20 mai 2014

Long way to nowhere

Tout oublier, effacer, supprimer. Tirer un trait, en somme. Appuyer sur une touche et tout laisser s'en aller. Les réseaux sociaux m'ont envahi de ta présence. D'un côté, je ne suis guère dérangé. J'aime bien avoir de tes nouvelles de manière indirecte. Mais parfois ça m'encombre et je me rends compte à quel point tu me manques, à quel point tout ça me manque. Des fois, je suis au croisement du point critique. Prêt à lâcher mon ego et revenir vers toi. Mais non, à chaque fois j'arrive à me retenir. Parce que tu me l'as dit, on a besoin de refaire nos vies, peu importe ce qu'il se passe.

L'oubli est certainement la manière la plus lâche de faire face à ses problèmes, puisqu'on ne les affronte pas, du coup. Non, si tu les écoutes, tous, il est préférable de "se servir de ses problèmes passés comme appui pour une vie future qui sera, non pas exempte de tous problèmes, mais plus facilement supportable car tu connaîtras déjà la réponse à ces problèmes". Et ça, ce n'est pas être lâche, peut-être ? Ce n'est pas se voiler la face, se construire une muraille, se dire "je l'ai déjà vécu, je sais ce que ça fait, c'est pas grave" ? Si, bien sûr que si. C'est peut-être pas plus lâche que l'oubli, mais on n'est jamais loin.

Et qui dit "oublier" dit "se souvenir". Qui dit se souvenir dit souffrir. Et souffrir nous donne l'impression d'être vivant. Donc non, oublier n'est pas forcément un travail de suppression. Peut-être qu'oublier, c'est juste ranger ses souvenirs dans une malle, laisser cette malle au fond du grenier et la ressortir lors d'un déménagement. Se souvenir, c'est comme remonter une autoroute. La plupart du temps ça roule bien, tu connais par coeur. Des fois, ça bouchonne, c'est long. Des fois, c'est dangereux, y'a du verglas. D'autres fois, ça tue. C'est comme ça. Mais c'est, ce qui fait la beauté du souvenir oublié, je pense. On le retrouve, mais on ne sait pas ce qui va se passer. Des fois, ça traverse l'esprit, comme un fantôme. Des fois, ça installe sa caravane à l'arrière de la Twingo qu'est ta vie et en route pour la joie. Te taper mille bornes avec une caravane au cul de la Twingo, c'est long, ça consomme. Mais une fois que tu es arrivé, t'es content. Parce que tu l'as fait, parce que tu savais que cette bonne vieille Twingo ne pouvait pas te lâcher comme ça au milieu du chemin.

Le chemin du souvenir, c'est un chemin vers nulle part, quand on y pense. On tente d'aller vers un passé virtuel, qui ne peut être touché. Revivre le passé pour mieux se préparer à un hypothétique avenir. Au final, et en y réfléchissant bien, je trouve ça un peu stupide, même si c'est ma façon d'avancer. J'ai l'impression de rester collé, d'avoir les pieds vissés dans du béton. Et pourtant ça me plaît. Parce qu'une fois sur quatre, ça me permet d'avancer d'un grand pas, en déchirant les vieilles pompes usées, en remettre des nouvelles et attendre le prochain coup de perceuse. Voilà, c'est ça se souvenir. De la Twingo à la perceuse. Une route vers nulle part. Le souvenir est un putain de cul-de-sac.